De plus en plus, l’État français fait écho de certaines sanctions qu’il inflige à des personnalités numériques – ces fameux influenceurs – lorsqu’elles enfreignent les normes entourant la publicité. Mais comment les autorités parviennent-elles à identifier les fautifs et quelles sont les répercussions pour ceux qui transgressent les règles établies? BFMTV.com a eu l’occasion d’obtenir des réponses à ces interrogations de la part de la DGCCRF.
Les autorités étatiques sont de plus en plus incisives sur la question des influenceurs, et n’hésitent pas à le faire savoir. Ce jeudi, la DGCCRF, branche répressif du ministère de l’Économie, a déchaîné une nouvelle vague d’injonctions à mettre un terme à des pratiques commerciales déloyales, ciblant cette fois quatre influenceuses.
Mélanie Orl, Féliccia, Amandine Pellissard et Fanny SNL figurent parmi les concernées. Ces quatre figures de proue d’Instagram ont été prises en flagrant délit de diverses infractions, qui vont de l’omission de la mention du caractère promotionnel d’un post à la mise en avant d’injections d’acide hyaluronique par un individu dénué des compétences requises pour une telle intervention.
Mais avant cela, d’autres noms de l’influence digitale tels que Julien Bert, Simon Castaldi, Capucine Anav et Rym Renomavaient déjà reçu des avertissements de la part de la DGCCRF. Comment se déroulent donc les enquêtes qui aboutissent à ces mesures disciplinaires? BFMTV.com a obtenu une explication détaillée sur le procédé d’inspection des contenus publiés par les influenceurs de la part de la DGCCRF.
Un signal d’alarme émanant des consommateurs, des médias…
L’aventure débute souvent par une notification. Cette dernière peut être émise par des individus via la plateforme signal-conso, un service public érigé pour faciliter aux consommateurs la dénonciation de complications rencontrées avec les entreprises, qui comporte une section consacrée spécifiquement aux influenceurs. Ces alertes peuvent également provenir des médias, des pouvoirs publics, voire être lancées de leur propre chef par les inspecteurs de la DGCCRF.
Rémy Slove, qui représente ladite administration, admet que les récits de ceux qui lancent l’alerte, des anonymes mettant à jour les comportements déplacés des influenceurs sur leurs propres canaux d’échanges “figurent parmi les données examinées” lors d’un contrôle. Des entités, telles que Vos stars en réalité, dressent un catalogue méticuleux des promotions de produits suspects à l’attention du grand public.
Par la suite, s’amorce un processus d’investigation : “Dès que l’on s’aligne sur l’idée que la notification mérite une investigation, les inspecteurs sondent les plateformes de réseaux sociaux et trient les informations adéquates”, développe Rémy Slove.
Le cadre réglementaire strict de la publicité
En termes précis, les préposés scrupuleusement analysent si un contenu a tout d’une annonce publicitaire sans que la rétribution y afférente soit manifestement signalée. Cela pourrait par exemple consister à faire mention d’une escapade offerte par une agence de voyages sans pour autant mentionner qu’il s’agit d’un don, une pratique qui n’est pas en conformité avec la loi. Ils examinent aussi la légalité des biens en vente sur le sol français, la commercialisation de produits contrefaits étant expressément proscrite.
Les inspecteurs veillent également à ce que le merchandising se conforme aux prescriptions réglementaires relatives à la communication du produit en question. Par exemple, il est défendu de déclarer que des produits de beauté sont “non expérimentés sur les animaux“, car de tels essais sont bannis par la juridiction européenne. Proférer ce genre de propos induirait par insinuation que d’autres marques disponibles en France s’adonnent à ces pratiques.
Une opportunité pour l’influenceur de s’expliquer
Fanny Snl, une des influenceuses ciblées ce jeudi, a partagé sur YouTube son témoignage personnel quant à cette vérification. “Il y a quelque temps, j’ai reçu par courrier chez moi une convocation de la DGCCRF”, se confie-t-elle dans son récit vidéo. “En réalité, il s’agissait d’une invitation à un interrogatoire libre dans le cadre d’une enquête sur mon activité de marketing.”
“C’est ainsi que je me suis retrouvée à cet interrogatoire libre qui a duré environ trois heures. Pendant toute cette durée, j’ai été questionnée par deux officiers de la DGCCRF à propos de mon activité sur les réseaux sociaux. De plus, ils ont minutieusement examiné et numérisé l’intégralité des papiers se rapportant à mon entreprise, y compris mes factures, ma déclaration fiscale et bien d’autres”, précise-t-elle.
Par la suite, elle a eu en sa possession une “lettre préliminaire d’injonction“, marquant le début d’une période de débat contradictoire qui a duré dix jours pour cette enveloppeuse de contenus. “Il existe une phase d’échange avec l’influenceur, car celui-ci a un droit de répliquer. C’est là qu’il va, si besoin est, justifier ses actions. Ensuite, nous décidons des mesures à adopter à la suite de l’inspection”, rapporte Rémy Slove, soulignant l’importance d’une enquête équilibrée et objective.
Sanctions variées : avertissements, injonctions, amendes…
Il existe plusieurs recours vis-à-vis de l’administration lorsque des infractions sont découvertes. L’administration peut notamment opter pour l’envoi d’un simple avertissement à l’instigateur de la faute, en l’occurrence l’influenceur. Plus sérieusement, elle peut mandater ces redoutées injonctions ordonnant le cessez-le-feu de toute pratique commerciale considérée comme trompeuse. Ces injonctions sont généralement émises par la DGCCRF, mais peuvent également, à certains moments, provenir de l’influenceur lui-même. Les abonnés ont alors droit à un message explicite – du texte blanc sur fond noir – qui émane et apparait sur les réseaux sociaux de l’influenceur. Ce message, selon les décisions de l’administration, doit rester en évidence pendant un certain nombre de jours.
L’expert juridique Rémy Slove déclare : “Prochainement, la mise en place d’injonctions sous astreinte sera possible”, ce qui renforce davantage le caractère dissuasif de ces sanctions. Grâce à la nouvelle loi régissant l’influence commerciale, votée en juin à l’assemblée, cette éventualité se concrétise. Les contrevenants qui ne respecteraient pas les injonctions – en négligeant de les diffuser sur leurs réseaux ou en persistant à agir frauduleusement – seront soumis à une amende quotidienne. L’amende infligée pourrait atteindre jusqu’à 3000 euros par jour pour chaque infraction non respectée.
Le porte-parole de la DGCCRF précise qu’en cas de manquements particulièrement graves, il y a transmission d’un dossier juridique à la justice. C’est à celle-ci de “prendre une décision concernant les éventuelles suites à donner”. Toutefois, il ajoute ne pas être en mesure de fournir le nombre exact de dossiers qui ont été transmis à la justice depuis le début de l’année. Selon les données répertoriées, seize dossiers ont été transmis lors du premier trimestre de 2023.
En dernier recours, la DGCCRF peut aussi s’appuyer sur une mesure radicale : l’application de l’injonction numérique. Cette procédure permet à l’administration d’exiger d’un réseau social de signaler explicitement le profil d’un influenceur à ses utilisateurs, de supprimer son référencement voire de bloquer son profil. À ce jour et d’après Rémy Slove, une telle mesure n’a jamais été appliquée à des influenceurs par l’État.
La justice a-t-elle vraiment mis les bouchées doubles contre les influenceurs frauduleux ?
Comment évaluer de manière juste et précise les retombées de l’effort légal concernant les influenceurs convaincus d’infractions ? L’opinion collective semble, à maintes reprises, évoquer une réponse judiciaire trop timorée. Jeudi dernier, par le biais de la plateforme autrefois désignée sous le nom de Twitter, le collectif des personnes ayant été dupées par ces influenceurs, connu sous le nom de AVI, exprimait son regret, déclarant que “la législation relative aux influenceurs, malgré sa mise en œuvre, n’a encore débouché sur aucune condamnation financière”. La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ne pouvait immédiatement confirmer ou infirmer cette assertion.
De plus, Le collectif AVI a mis l’accent sur l’absence d’action prise par Snapchat, Meta (anciennement connu sous le nom d’Instagram), TikTok et YouTube pour éliminer de tels contenus illégaux ou pour suspendre les comptes impliqués.
Malgré tout, Rémy Slove, le porte-parole de la DGCCRF, affirme que les injonctions ont un potentiel dissuasif très notable. D’après lui, l’écho positif tant du côté des influenceurs que de celui des consommateurs indique une réalisation de la gravité de la situation. Il y a un avertissement en première instance. En cas de récidive, une amende est infligée à l’auteur de l’infraction, qui devient susceptible d’être déféré devant le tribunal correctionnel. M. Slove a cependant omis d’éclaircire si un tel cas s’est produit récemment en ajoutant que “l’on ne parle pas nécessairement de tous les cas, mais des événements nous autorisent à le faire”.
En outre, la DGCCRF évoque une amélioration significative de la situation. Les consommateurs sont de plus en plus vigilants, avec une augmentation notable du nombre de signalements. “Nous ne l’attribuons pas nécessairement à une dégradation des pratiques dans le secteur, mais plutôt à un éveil de la conscience collective découlant des débats sur la législation relative aux influenceurs.”, concluent-ils.
Les influenceurs face à l’impérative prise de conscience
Il apparait manifeste que cette prise de conscience n’épargne pas les créateurs de contenu, selon l’éclairage perspicace de Rémy Slove. Ce dernier met en relief qu’une faction “considérable” des influenceurs navigue en dehors des pratiques problématiques. La pierre d’achoppement majeure découverte par les services étatiques est l’insuffisance d’indication attestant qu’un contenu est une publicité. Dans le courant du premier trimestre 2023, la DGCCRF a effectué une vérification minutieuse de 50 influenceurs, parmi lesquels 30 étaient à l’origine d’infractions. Quand bien même certains influenceurs cumulaient de multiples infractions, la DGCCRF a mis en évidence chez ces 30 personnalités l’existence de partenariats rémunérés ne déclarant pas explicitement leur nature publicitaire.
Convertissons cette idée en des termes pratiques : il pourrait s’agir d’un placement de produit dépourvu de toute allusion à une publicité, ou gratifié d’un modeste hashtag #ad (l’équivalent de publicité en langue anglaise, terme qui n’est pas forcément compris par le commun des mortels). Se pose aussi la problématique d’accessibilité. Fanny SNL, dans sa vidéo, illumine sur le fait que sa faute résidait en l’intégration de la mention “collaboration commerciale rémunérée” en bas de la barre d’information de ses vidéos. Pour la lire, il fallait dérouler cette barre, un geste qui n’est pas systématiquement réalisé par tous les abonnés.
Rémy Slove précise en insistant : “C’est une problématique, car l’opinion portée sur le produit pourrait être orientée et le consommateur doit être conscience de la relation commerciale en question“.
Tout en bénéficiant du renfort d’une nouvelle “brigade” de quinze personnes dédiées aux influenceurs, annoncée par Bruno Le Maire, la DGCCRF devrait être en mesure d’opérer dès l’automne de cette année. Cette amplification de la masse salariale est capitale, alors que le déficit de personnel, ainsi que l’augmentation des missions, sont déplorés par l’unité de la CFTC au sein de l’administration.